mardi 21 novembre 2017

Préexistence

Éva Circé-Côté (1871-1949)

(Source : Bleu, Blanc, Rouge, éd. Beauchemin, 1903)




   J'ai vague souvenir d'antiques existences,
   Où le reflet pâli des vieux siècles lointains
   S'efface jour par jour, éphémères fusains
   Dont le dessin se brouille au moment des naissances. 

   J'ai transmigré jadis sous d'impalpables formes : 
   Atome lumineux, nouveau-né des soleils, 
   Sur mon berceau d'azur tressé de fils vermeils
   Un long voile lacté couvrait mes traits informes. 

   Oui, j'ai vécu toujours en la vie infinie.
   Ainsi que dans la mer roule la goutte d'eau,
   Au ciel d'hier succède un rivage nouveau, 
   Je retourne à la mer, ma première patrie. 

   J'ai souvenance encore, quand le doute m'oppresse,
   Du chaos primitif d'où mon être est sorti : 
   La terre était si triste aux jours d'Adonaï
   Si blême le soleil, si lourde la détresse. 

   Lorsque la neige blanche enlinceule la terre,
   L'hiver gémit en moi, car jadis bête ou fleur,
   J'ai dû souffrir du froid et trembler de frayeur,
   Seule dans les grands bois au fond de ma tanière. 

   Mon âme comme un arbre a plongé dans le sol
   Sa racine vivace et quand le sombre automne 
   Éparpille dans l'air sa brillante couronne,
   De mes illusions, je pleure aussi le vol ! 

   Mais des rêves dorés, l'intime floraison
   Reverdit au printemps, à la brise nouvelle,
   Alors que sur les toits gémit la tourterelle,
   Quand les nids en amour soupirent leur chanson.

   J'ai dû vivre autrefois en d'étranges pays.
   Ah ! oui, je me souviens... j'étais une fleurette
   Au fin corselet vert, à blanche collerette
   À qui le doux zéphyr disait des mots gentils. 

   Une main criminelle effeuilla mon calice,
   Brisant la coupe d'or où buvait le rayon ; 
   Jalouse des baisers du brillant papillon,
   Jalouse de l'amour et de son pur délice !

   Mon coeur souffre à jamais de cette meurtrissure
   Et chaque trahison voile mes yeux de pleurs. 
   Le sang coule toujours de l'antique blessure. 
   Grâce pour nos tourments, ne brisez pas les fleurs ! 

                                         Éva Circé-Côté (1903) 
     


Tiré de : Colombine (Éva Circé-Côté), Bleu, Blanc, Rouge, Montréal, Déom Frères Éditeurs, 1903, p. 365-366. 

Pour en savoir plus sur Éva Circé-Côté, cliquer ICI.


Recueil de poésies et de textes divers publié 
en 1903 par Éva Circé-Côté sous le nom
de plume de « Colombine ».
 

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